Conversation avec DANIEL FOUCARD & PAUL NEW - Morgane Rousseau

Morgane Rousseau Paris
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Morgane Rousseau
Daniel Foucard&Paul New
MR

A quelle heure t’es dispo ? On se retrouve au Rêve ? A 18 h. Super. Une mousse pour Daniel et un Sauvignon pour moi.


Daniel Foucard au Rêve


Daniel !… Tu interroges l’histoire de Paul New que tu as rejouée à travers différents médiums.

DF

Paul New c’est ce surnom très valorisant inventé par toi, qui se fonde sur une ressemblance assez lointaine quand même. C’était au mythique château de Bionnay, ta résidence de l’époque. Je l’ai adopté comme pseudonyme depuis. Commode à  retenir, c’est son premier avantage, il faisait aussi écho à  la célèbre devise d’Ezra Pound : Make it new ! Ce Paul Nouveau, dont l’anglais n’offre que deux syllabes, pouvait se laisser aller à  deux obsessions thématiques : la nouveauté et la transgression. Personnage tout frais tout neuf créé en 2000 à l’abri d’un bel endroit.





Paul Newman


MR

Si tu en faisais une scène réaliste comment la décrirais-tu ?

DF

Une scène ? Alors là , je tiens une queue de billard penché sur mon ouvrage, visant ma cible, espérant toucher deux billes avec une seule en trois bandes, lorsque rentre dans la salle du château dévolue à ce loisir, la châtelaine la plus sexy de l’histoire de l’art et des tendances, ayant en plus le don des formules, comme celle qu’elle sert à une invitée passant dans le couloir : Hey Joanna, regarde Paul New, on dirait l’arnaqueur ! De quoi se la raconter et afficher un sourire satisfait en plein effort, pas trop déconcentré par la vanne, quoique ratant complètement la bille. La classe quand même, merci Morgane, adopté. Le pseudo improbable, mi- comique, mi-deejay, qui fait rire les employés des centres d’appels quand je leur donne mon adresse mail. Donc, en plus de l’adresse, ce Paul New titre ma page web et signe une publication aux éditions Dasein avec le musicien Portradium. Il est un peu mon secrétaire mais caresse le projet d’écrire lui aussi.



Extrait du Film L'Arnaqueur de Robert Rossen avec Paul Newman 1961


MR

Quand j'ai lu ton livre PEUPLEMENTS j’ai tout de suite ressenti le besoin de faire un film, le traduire en images. Aujourd’hui je suis beaucoup plus fascinée par le voyage statique. Les gens voyagent plus en restant sur place, en zappant, en ce connectant. Comme les personnages schizophréniques de NOS SIBERIES, la première nouvelle du livre. Au départ je voulais réaliser NOS SIBERIES dans le transsibérien, mais j’'ai préféré me diriger vers un studio. Des documentaires et films sur la Sibérie des années 60 auraient été insérés dans le film et projetés comme toile de fond aux jeux des comédiens. Les acteurs, des occidentaux contemporains évoluant devant une Sibérie obsolète et fantasmée comme si le paysage Sibérien restait figé dans un passé silencieux et qu’il était réanimé par un occidental bruyant (techno, circulation, information). La Sibérie lieu inhospitalier, les personnages en auraient fait la douloureuse expérience. Utiliser des moyens par défaut, au lieu d’aller filmer sur place des paysages, j’aurais préféré me servir d’images préexistantes. Preuve que la Sibérie est bien un pays fantasmé.


Story board  NOS SIBERIES


Aujourd’hui de plus en plus d’écrivains valorisent cette idée du voyage statique. Les plasticiens travaillent déjà  sur des propositions qui vont dans ce sens.



DF

Comme tu l’as très bien dit, le voyage statique tient une toute nouvelle capacité à rester sur place par le moyen de multiples connexions. Ces connexions accumulent tellement d’informations qu’on a l’impression d’être débordé vu le temps qu’on devrait leur consacrer. On a besoin de temps et on compense très vite avec un nouvel usage de l’espace qui est aussi celui de la toile. L’étendue, la surface, le géographique redeviennent le nouveau domaine d’une aventure jusque-là  banalisée par les voyages low cost. On recherche la sensation des distances et des errances par de plus sobres moyens, comme l’écriture évidemment. Mais il y a encore deux conquêtes, ou plutôt deux reconquêtes, qui comptent autant aujourd’hui : la reconquête du savoir et celle d’une identité. Le savoir est réservé aux spécialistes, l’identité passe par les témoignages. Déplacer son récit imaginaire vers un pays imaginaire nous libère de ces deux usages. Je m’invente une identité de voyageur dans un pays que je n’irais pas visiter. Réinitialiser le savoir des lieux avec comme seule ressource les cartes géographiques comme je le fais dans mes livres, en déduire une histoire faiblement documentée, se trouver donc un nouveau terrain de jeu, me dispense de voyager. De plus, j’utilise un procédé courant dans l’histoire de la littérature, celui de la métaphore. Plus j’évoque un pays lointain et insaisissable, plus je parle du mien. Dans Peuplements, mon premier livre, ce procédé est pourtant mis à  l’épreuve, car il ne s’agit pas tant de projeter que de fantasmer, comme tu le dis. Des travellers, des usines à leurres, un tigre de Sibérie fuyant, une Singapour du Nord, une compétition de hockey sur glace transformée en happening, des pipelines superposés dans une plaine, sont autant d’hallucinations façonnant un réel plausible, le fantasme plausible d’une Sibérie trop vaste. L’accumulation d’informations et la fabrication d’informations nous libère du : J’ai vu, j’ai testé, je vous raconte ! Mon témoignage, le seul témoignage qui soit intéressant, est dorénavant celui que je construis.

MR

Dis-moi, toi qui joue aux jeux vidéo depuis au moins 15 ans : tu dois être super performant aujourd’hui ?

DF

Je me suis un peu calmé. C’était quand même du sept huit heures par nuit à une époque. Là , une petite heure me convient mieux. Mais l’attirance reste la même car c’est d’abord un goût pour le virtuel, l’usage du virtuel. Plus exactement le réel simulé, les jeux 3D exclusivement et les plus réalistes. Prioritairement des sport games, comme on dit : surf, snowboard et foot. Il y a un jeu de foot auquel je joue régulièrement et que je ne considère même plus comme un jeu vidéo tellement je connais toutes les manips, les menus, le huis clos du rectangle vert de la pelouse, etc. je parle de prothèse pour le définir. Oui, une forme d’extension ou un bilboquet de voyage. Mais le réel simulé, celui où tu agis sur un réel plausible, est beaucoup plus intéressant. Cette zone, car c’est une zone, est un champ d’action, un champ de manoeuvres pacifique qui fait encore écho à  notre désir de reconquérir l’étendue, comme je l’ai dit. Notre attitude devant l’image est passée de passive à  active donc aussi de potentiellement réactive à obligatoirement active. Les pixels excitent, hypnotisent, captivent. Et s’ils responsabilisaient maintenant ? J’aime souvent dire que je considère le réel terrestre comme une superposition de trois couches : le réel, le virtuel et l’onirique. Dans la culture vidéoludique, il ne s’agit plus d’un simple jeu, mais d’une troisième voie.




MR

Beaucoup de livres sont parus sur le jeu vidéo, mais la plupart abordent plus les aspects sociologiques. En revanche, L’'ouvrage de Mathieu Triclot Philosophie des jeux vidéos aborde le sujet selon un axe plus philosophique. D'où son titre d'ailleurs. Haha
PRO EVOLUTION SOCCER 2012 Jeu vidéo

DF

Oui, le livre de Mathieu est un livre important. L’étrange est que lui-même est un ancien hardcore gamer ayant gagné des compétitions. S’il fallait rassurer ceux qui craignent que la pratique des jeux vidéos abrutissent complètement, on leur conseillerait de vite lire cet ouvrage. C’est érudit et brillant, très politisé aussi, avec des phrases du genre : Les jeux vidéos fournissent un nouveau modèle pour l’organisation du travail, où l'aliénation s’évanouit dans le fun. Flippant.

MR

Quand le jeu vidéo inspire le cinéma. Des jeux aux films. De 92 date l’apparition du premier jeu MORTAL COMBAT qui a connu un grand succès que tu dois j’imagine connaître. Du coté cinéma le bilan n'est pas réjouissant avec deux adaptations de MORTEL COMBAT dont une de Paul W.S Anderson. Le jeu vidéo est interactif alors que le cinéma lui est passif.


PHILOSOPHIE DES JEUX VIDEOS de Mathieu Triclot. Editions Zones


DF

C’est marrant que tu dises ce truc. Le caractère passif du cinéma m’a un moment fait croire que ce serait précisément l’usage du jeu vidéo qui prendrait la relève, même s’il existe des protocoles interactifs qui permettent de changer l’orientation du récit, le déroulement, le dénouement des films. Tout excité de voir que l’agir sur un réel simulé prendrait le pas sur un réalisme imposé, j’ai même troqué des films contre des jeux. Or il reste une troisième couche du réel, comme je viens de le dire, c’est le temps passé à dormir donc à mettre en branle cette inépuisable usine à fictions qu’est le rêve. Il fabrique du récit pour rien. Il émet des signaux pour rien si ce n’est une fonction réparatrice selon les médecins. Ainsi, comme lui, peut-être que le cinéma ou le roman nous réparent, réinitialisent le système, nous devenant physiologiquement indispensables. Le spectateur passif, ce serait la maintenance, tandis que le joueur actif serait lui en service, l’un ayant besoin de l’autre mais pas simultanément. D’où le ratage de l’adaptation des jeux vidéos au cinéma n’ayant pas pris en compte cette séparation.



MR

Il me semble que ta première orientation était le cinéma, une écriture visuelle.

DF

En effet, ma culture de base est essentiellement visuelle et ce sont les cartes de géographie ou les notices d’encyclopédies ou surtout les films qui ont occupés ma formation d’autodidacte. J’ai même très peu lu jusqu’à l’âge de trente ans et par conséquent presque rien n'écrit. C’est peu dire que ma vocation d’écrivain est tardive voire insolite. Je lui ai préféré celle de cinéaste, réalisant péniblement un court métrage, puis lâchant l’affaire trop obsédé par la lourdeur de l’entreprise, mon attirance pour l’art, les utopies, mon indépendance, etc. Mais j’avais aussi mésestimé une chose que j’aime souligner depuis que j’écris régulièrement, c’est qu’on peut concevoir deux types de pratiques littéraires : il y a l’écriture du VOIR et l’écriture du DIRE. L’écriture du voir décrit abondamment le décor, le paysage, l’action, l’ambiance, les dialogues, elle enregistre, elle chronique, témoigne ; l’écriture du dire recherche d’abord le propos, le concept, le mythe, l’acte, elle parle. Or l’image de cinéma fait curieusement la même chose car ce qui est à voir est immédiatement perceptible en une fraction de secondes, reste à dire, à entendre dire, à souligner. Je refusais la pratique de l’écriture, A  cette époque, quand je donnais la primauté à l’image filmique, alors que cette image émancipatrice libérait déjà  du DIRE. Maintenant j’écris des superproductions insolites avec un budget invariablement proche de zéro. Nettement plus économique, plus autonome, peut-être plus schizo, je persiste à  produire de l’image. La boucle est bouclée.


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