Conversation avec BERNARD JOISTEN - Morgane Rousseau

Morgane Rousseau Paris
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Morgane Rousseau
Bernard Joisten

MR

En traversant l'Hôtel Scribe, déjà  les pistes d'un scénario possible nous invitent à  une nouvelle histoire. Dans mes zigzags entre les tables, je commence à  entrevoir la verrière du plafond qui reflète une lumière d'ambiance rose fluo. Je ne me suis pas trompée. Cette matérialité se révèle à mes sens comme un comportement cinématographique.
Au premier abord ce cadre rose électrique donnant sur le ciel et les fenêtres des quatre pans convergeant vers le ciel nous précipite sur la contemplation de l'architecture environnante de la cour fermée de l' hôtel. Derrière ces fenêtres qui s'éclairent et s'éteignent que se passe-t-il. Quelle est l'histoire de chacun ?…

Il s'est passé 15 ans pour retrouver Bernard Joisten autour d'un martini dry. Joue-t-il avec le cinéma ou le design ? Passionné de cinéma et de science fiction Bernard Joisten fait se rencontrer les éléments d'un film dont on aurait oublié le scenario. Mais passons à autre chose, ce film ce n'était pas lui ! Haha



Bernard Joisten autour d'un martini Dry.
Comme autant d'images extraites de films de science fiction, tes peintures s'imposent par leur intense luminosité et la brutalité de leur univers d'humanisé. Ici des capots de scooter sont exposés et mis en exergue par la lumière, tel des masques que pourraient porter des extras terrestres. Ou des carapaces d'insectes. Ils tiennent comme par magie sur les murs. Rien ne les retient comme s'ils pouvaient errer dans l'espace comme des âmes. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette exposition ?


BJ

Oui, ici il n’y a pas d’image et pourtant on est à  deux doigts de la représentation. Après avoir vu l’exposition Dali, j’ai pensé que le surréalisme étant déjà  pris, on pouvait peut-être passer au sousréalisme. Le surréalisme était au réalisme ce que les combles sont à l’immobilier : la partie supérieure, l’intérieur du toit. Le sousréalisme, serait plutôt une espèce de sousplexe : il manque des fenêtres mais on y voit quand même. La preuve : insectes, masques, boucliers, tout à la fois. Mais ce n’est pas exactement une représentation. C’est juste en dessous de ce que serait le statut de " représentation". D’où: sousréalisme. C’est une abstraction mais figurative, si tu veux. Le mode d’accrochage m’a été dicté par l’espace somptueux de la galerie de l’hôtel Scribe : pas "white cube" du tout mais plutôt black cube, avec une tonalité à  la Kubrick pour le monolithe central où flottent les images vidéos.  L’origine de ces formes, c’est le Japon, forcément. Le pays du design levant. On achète ces formes sur catalogue, on personnalise ainsi son scooter. C’est plus grand, voire plus petit, Ca permet d’échapper au modéle standard. Ce n’est pas pour autant la forme personnalisée ultime, dessinée par le consommateur. C’est un premier pas vers le tuning. J’ai fait faire ces peintures par l’entreprise Whitehouse (Tokyo) qui a suivi à  la lettre mes croquis. Les supports ont été fournis gracieusement par Comestock. Il y avait un objectif " peinture", oui, mais peinture galbée. C’est-à-dire aérodynamique ! Pas plate, toile, châssisé. Non, le galbe, c’est toute la différence : la peinture pénètre l’espace et parle de vitesse. La-dessus j’ai scotché mes lignes que j’avais déjà  expérimentées pour Illimité, à  Caen, mais cette fois avec du scotch bleu et doré. Ma devise, c’est : sans habillage, pas d’accrochage.

MR

Le cinéma dont tu fait référence ici avec Kubrick, l'essai que tu as fait sur le cinéaste Dario Argento. La pièce avec le billard que tu as Tunée pour l' "Ouverture" au château de Bionnay faisait référence à  David Lynch.
Au bar de l'hôtel Scribe en face de Bernard Joisten je pourrais être avec lui dans ce bar de 20 mètres carrés à Tokyo qui se nomme la Jetée. Cette image, Cette présence ! Cette ambiance !
Tu travailles souvent au Japon. La science fiction est une présence forte dans ton travail. Dans tes oeuvres, les ambiances fictionnelles que tu proposes sont celles d'un avenir imaginaire. Que ferais-tu du passé pour en faire une pièce de science fiction ? Appeler le passé et l'avenir au secours du présent ?

BJ

Je te réponds avec en fond sonore Terminator 3 que j’avais vu avec Alexandra et Pascale Cassagnau au Ciné Cité des Halles, A  l’époque. cet opus ne valait pas le « deux », n’est-ce pas, saupoudré de Morphing, qui allait devenir l’effet spécial N°1 du box office. Kubrick n’a jamais mis les pieds dans cette force indicible, qui calcule le monde en tant qu’entité totalement mouvante et fluide. Non, Kubrick est un statique. Les forces, chez lui, ne changent pas de formes, car elles ne sont pas des simulacres. Cameron s’est emparé de la simulation comme Lasseter (Toy Story) ou Jean Baudrillard (Simulacres et Simulation). Kubrick, lui, est resté dans le théâtre de la folie, mais pas du mensonge. Folie de criminel (Shinnig), de la violence (Orange Mecanique), du vide (2001). Argento n’a pas le même statut. Il est « mineur », mais le mineur est délicat, mobile, plus mélancolique au niveau de l’harmonique, non ? Chez Kubrick il y a toujours un grain de sable qui dérègle l’organisation des choses. Tandis qu’à  la base, le monde d’Argento est déjà  déréglé, il n’est donc pas possible de le réparer car sa conception est improvisée, sans plan génééral, sans motif essentiel. Il y a un moteur sexuel qui renforce une espèce d’ivresse généralisée, mais qui n’entraîne aucun changement, aucun système. Le crime est un projet vide, une absence de projet. D’où la réputation de grand décadent d’Argento. Mais globalement, c’est un esthète de l’architecture. Il y a une présence des lignes architecturales des villes, des bâtiments, qui alourdit les choses chez lui, qui fabrique cette aura mortuaire de marbre, de béton, de pierre tombale. J’aimerais aussi te parler un peu de Lynch, par rapport à  la matrice « décoration » qui me traverse dernièrement, mais je reporte à  la prochaine fois, c’est trop copieux pour ce soir!

Tout ceci me rappelle quand j’écrivais sur le cinéma dans Purple Prose, ah ah !

Image du film de Kriss Marker LA JETEE»
La science fiction est une métaphore de l’avant garde située dans l’ambiance relax du divertissement. Avec l’avant-garde, c’est la panique de la rupture. La table rase c’est la bombe atomique des neurones. La SF est basée sur de la sociologie projective. C’est plus cool mais ça veut dire à  peu près la même chose : ça serait bien de changer et d’être en quelque sorte vecteur d’un changement majeur. Dans la SF il faut projeter des systèmes, des modes, des objets, des codes, des ambiances, A  l’intérieur d’enveloppes temporelles nouvelles. La Jetée dont tu parles (le bar de Tokyo, donc) est une sorte d’enveloppe temporelle futuriste plus ou moins rétro. Le film de Chris Marker, avec son cachet noir et blanc, argentique, pèse forcément sur le climat d’ensemble de ce petit bar tenu par la première femme qui avait distribué le film au Japon, autant dire une héroïne. Bref, dans un tel décor, le whisky a un goût de fiction perlé de sensation d’être au coeur d’un monde invincible, totalement réfractaire au délire nippon super high tech. Le Japon a cette double poésie de futur et d’ancien (lieu commun), mais là  attention, je vais dire un truc nouveau : euh, quoi déjà ! oui, le Japon, le passé, le Japon est constitué d’une immense nostalgie bleutée par les ciels crépusculaires qui font de Kyoto, Tokyo, Osaka, des enveloppes sensorielles dont on est devenu addicts (avec Alexandra).

Mais tu as raison le passé peut-être une zone de temps commode pour la SF. Regarde le genre rétro futuriste steampunk. DisneySea baigne dans cette ambiance de Jules Verne corporate, dans la banlieue de Tokyo. Certes, tout ceci a beaucoup de charme. Mais mon atelier favori, à  Tokyo, c’est les Department Stores. C’est là  que j’ai réalisé mon film La Société Des Items qui est une réponse superficielle au film de Debord, et qui élève la surface au rang d’architecture cosmique. Certains décors de boutiques n’auraient pas déplu à  Kubrick d’ailleurs dans ces immenses malls chaleureux, tièdes, qui t’enrobent d’économie modélisée par la mode. C’est une matière sensorielle pleine de charme, une atmosphère calculée pour réduire le stress et les contraintes. Tout est investi dans le détail d’un design aiguisé pour vendre, séduire, mais aussi jongler avec les apparences. C’est pour ça que toutes les photos sont bonnes à  Tokyo : l'objectif rebondit sur toute les surfaces, dans des ricochets d’ambiances érotiques.

MR

Les éléments que tu mets en scène ouvrent la porte de l'imaginaire en proposant au spectateur de composer lui même la continuité d'une histoire Les paysages mentaux qu'elles dessinent révèlent la violence d'un monde totalitaire.
Comment pourrais-tu retranscrire et déborder plastiquement dans léespace réel de cette scène ?

Une voix off. Dit : ceci est l'histoire d'un homme. On lui propose de retrouver un ancien instant fort de sa vie à  travers le temps. Jusqu'revivre les mêmes émotions. On lui propose le choix d'aller dans l'avenir.

L'image projetée est une enfant. C'est sa mère. IL la reconnaît parce que il a déjà  vu cette photo.
Il pense avec vertige que le temps est passé trop vite et qu'il n'est pas encore né. Une autre image d'un vieillard effrayé regardant dans le vide est projetée. Il ne comprend pas. Un bref instant il croise son propre regard. Lorsqu'il se reconnaît il comprit que l'on ne s'évadait pas du temps.

Bernard Joisten
Je crois que le cinéma est (doit être) totalitaire et l’art plutôt démocratique. Totalitaire parce que sinon, on s’emmerde. Le problème est celui du temps. En tant que spectateur (de cinéma), c’est le réalisateur qui décide de la durée de ton attention. Mais si je visite une exposition, c’est moi qui décide du temps que je passe devant telle ou telle oeuvre. Trois secondes ou trois heures, ce n’est pas l’artiste qui décide, mais le public. On est donc « libre » devant l’oeuvre, on l’est moins devant un film. Je crois que c’est ça la frontière entre les deux genres. Certes Antonioni, il est ouvert, et en même temps, il impose fatalement les sentiments, les sensations, A toute l’évolution de l’organisation psychique située entre ses personnages. Argento, n’en parlons pas. Mon livre sur lui (Crime Designer), d’ailleurs, aurait pu s’appeler l’Oeuvre Fermée, en Echo à  Eco, ah ah.
Transposés dans l’art, les climats totalitaires ont ce charme plastique de l’effet spécial dont on subit forcément la puissance.
Le rêve est authentique, la vision est fausse, calculée, donc plus manipulatrice. Comme si des scénarios t’enrobaient l’esprit jusqu’à  la racine des cheveux, jusqu’à  ce que ça se développe en peinture, en installation ou en photo !  Mais en vérité, ils n’existent pas à  l’intérieur. Il faut les créer de toute pièce. A partir d’un extérieur tout en fait arbitraire, en tout cas c’est mon cas. Je n’ai pas d’obsession, que des intentions. Mais finalement, ça marche. La simulation détermine des effets de vérité. Entre simulation et dictature se glisse aussi l’art total qui, à défaut d’être totalitaire, s’adresse à  tous les sens, A  la fois dionysiaque et paranoïaque. Il n’est ni vrai ni faux, il embrase les sens et jette la séduction avec l’eau du bain. J’aime les ambiances vides d’espaces faits d’abstraction et d’obscurité maladive, parce qu’on ne sait pas à  quoi ils servent. Eventuellement à  perpétrer des crimes. Ils sont à  l’ombre des guerres, avant l’orage, juste avant les fissures, l’explosion des facettes! La réalité dirige le monde mais l’illusion croit ferme à  son pouvoir. Entre les deux, c’est la friction plastique : étincelles, reflets, scénarios à  la va-vite ou élaborés à  coups de marteau !
Ta voix off, c’est La Jetée, c’est aussi 2001. Même embarquement dans les dérives du temps. Le passé est le meilleur morceau du Temps, sa partie noble, le plus cher, à manger saignant (une fois cuit, c’est le présent). Et en même temps, le futur, quel charme ! Regarde les dessins de Charles Schridde pour Motorola, les voitures super glamour de Syd Mead, les cités de Hugh Ferris ! Le vieillard de 2001, sur Jupiter, devant le monolithe, c’est autre chose, c’est plus dramatique. C’est le futur métaphysique. C’est Nietzsche au pays des icebergs. L’éternel retour en goguette, qui fait ses emplettes au pays des humains. C’est la vibration du vide congelé sous forme de barre, voire de coup de barre !


MR

J'ai envie de terminer par l'érotisme. Dans l'esthétique des années 70 on retrouve dans les films et téléfilms italiens beaucoup d'érotisme. D'ailleurs beaucoup sont devenu cultes. Ils mettent l'amour en scène, tout en restant soft , certains de ces films romantiques sont devenus cultes.

Une p'tite dernière pour la route. Un peu de sadisme. Le film de Dario Argento "Quatre mouches de velours gris". Est-ce que tu en vois 4 sur cette photo ? Hahahaaaaaaaa


Image du film "Quatre mouches de velours gris" de Dario Argento.
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